Vie quotidienne. Cures de détox liquides : « Ça n'a pas de sens de mettre le tube digestif au repos »

Les détox liquides d'une semaine, à base de jus de fruits et de légumes ainsi que de tisanes, continuent d'être plébiscitées sur les réseaux sociaux.
Les « détox liquides » ont le vent en poupe, portéees en particulier par de nombreuses publications sur les réseaux sociaux. Le docteur Jean-Michel Lecerf (*), médecin nutritionniste à l'institut Pasteur de Lille et membre de la Société française de nutrition, décortique cette tendance commerciale sans fondement médical scientifique.

Le docteur Jean-Michel Lecerf. Photo Sam Bellet
On dit beaucoup que la détox liquide est très tendance en France. Avez-vous une idée plus précise de l'ampleur du phénomène ?
« Je n'en ai aucune idée. Je pense que ça n'a pas beaucoup de succès parmi les patients que j'ai à l'hôpital. C'est surtout un succès sur les réseaux sociaux pour les gens qui n'ont pas de problèmes de santé. »
« On n'apporte pas de protéine à notre corps pendant une semaine »En tant que médecin nutritionniste, que vous évoque cette idée de détox liquide ?
« Je n'ai jamais vu un travail scientifique qui valide ce genre de régimes. Se "débarrasser des toxines", c'est une idée que les gens se mettent dans la tête. Les toxines, c’est un terme commercial pour dire qu’on est empoisonné en permanence. C’est une drôle d’idée parce que bien sûr il y a des gens qui ont des problèmes d’insuffisance rénale, mais le traitement n’est jamais un régime détox. Quand les gens font ce type de régime, ils n'ont de fait plus les problèmes intestinaux qu’ils avaient s'ils ont un syndrome de l'intestin irritable et ne souffrent plus d'une intolérance quelconque. C'est un effet réel, mais qui n’a pas de sens sur le plan médical car s'ils reprennent leurs mauvaises habitudes alimentaires après, ça n'ira pas mieux. »
Pourquoi ce type de régime est dangereux pour notre organisme ?
« Avec une cure uniquement liquide, on n'apporte pas de protéine à notre corps pendant une semaine, même si contrairement au jeûne on apporte quand même des calories avec quelques boissons à base de légumes. Le risque, c'est de perdre de la masse grasse et de la masse maigre, ce qui est dangereux notamment pour les personnes d'un certain âge. Le danger, c'est surtout de le faire pendant plusieurs jours et régulièrement. La sous-nutrition peut s'installer. Et des carences en calcium et en fer peuvent apparaître. Si vous faites un jour de ce régime après avoir fait bombance lors du Nouvel an par exemple, pourquoi pas. »
« Ça ne peut pas aider à maigrir sur le long terme »Voyez-vous quand même un bienfait, même minime, à ces régimes appliqués sur une semaine ?
« Oui, s'il faut en chercher un, c’est que les gens ont l'impression qu'ils se sentent mieux s'ils avaient une mauvaise alimentation et prennent de nouvelles habitudes par la suite. On entend très souvent le discours de "mettre le tube digestif au repos", mais ça n’a pas de sens. Comme le cœur et les poumons, il est fait pour marcher en permanence. Ce qui est vrai, c’est qu’il n’est pas fait pour être surchargé. Dans ces cas-là, un peu de rectification ne fait pas de mal. »
Ces « détox liquides » sont aussi privilégiées pour perdre du poids. Est-ce que ça peut fonctionner de ce point de vue ?
« Ces cures, c'est une semaine, donc ça ne peut pas aider à maigrir sur le long terme. Ils vont à 99 % reprendre tout leur poids initial, pas forcément tout de suite. »
Comment expliquer que ça ne fait pas vraiment maigrir ?
« C'est la même chose avec toute sorte de régime. Les mécanismes sont extrêmement nombreux. Il y en a qui sont liés à la sévérité de la maladie du tissu adipeux qu'est l'obésité. Il y a aussi toute une série de mécanismes qui sont inscrits dans l'organisme pour protéger le corps vis-à-vis d'une diminution du tissu adipeux qui est extrêmement important pour notre métabolisme. Par ailleurs, quand on perd du poids, on perd de la masse maigre et donc on diminue nos dépenses énergétiques, on a donc tendance à reprendre à alimentation égale. L'organisme met aussi en place des mécanismes hormonaux qui vont activer les hormones de la faim et réduire celle du rassasiement.
Il y a également tous les mécanismes psychologiques qui font qu'on ne mange pas pour se nourrir, mais aussi pour compenser, et quand on fait un régime, on inhibe tous ces systèmes de récompense et de compensation, or si on est soumis à un stress, on lève l'inhibition qu'on a créée, donc y a une reprise du poids. Enfin, des mécanismes génétiques et épigénétiques, qui sont variables selon les individus, contribuent aussi beaucoup à ce que certaines personnes retournent plus vite à la case départ. C'est possible de maigrir si l'on s'y prend tôt avant que le tissu ne soit devenu trop gros et malade. »
Avez-vous un conseil facilement applicable à la place de ces régimes d'une semaine ?
« Il faut apprendre à mieux manger et y aller par petites touches. Le meilleur conseil que j'ai a donné, c'est de réduire les quantités, apprendre à ne pas se resservir, ne pas finir son assiette. Il faudrait s’arrêter juste avant d’être rassasié. C'est le trop-plein qui pose problème. Au lieu de gaspiller, il faut juste apprendre à se servir moins, et éventuellement se resservir mais juste un peu. »
(*) ''40 idées fausses sur les régimes'', par le docteur Jean-Michel Lecerf, éditions Quae, 18,50 euros.
Le Bien Public