Freyming-Merlebach. François Dosso : « Un recul des droits est à craindre pour des milliers de victimes du travail »

Dans un communiqué du collectif des fédérations d’anciens mineurs CGT, CFDT, CFTC, FO-CGC et des associations Andeva, Cavam, Fnath et Adevat-MP, vous expliquez que les droits des victimes du travail sont en danger. Pouvez-vous détailler vos inquiétudes ?
François Dosso, porte-parole du collectif : « Selon nos informations, la direction de la sécurité sociale (DSS) en lien avec la direction des risques professionnels (DRP) de la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) souhaite une modification de l’article L 461-1 du Code de la sécurité sociale pour 2026. Cet article concerne la reconnaissance des maladies professionnelles. La modification viserait à ne plus orienter certaines demandes aux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) mais à confier la décision à seulement deux médecins-conseils. Le comité actuel est composé d’un médecin du travail, d’un spécialiste, professeur d’université ou praticien hospitalier et d’un médecin-conseil. Ce sont eux qui statuent sur l’origine professionnelle ou non d’une pathologie. Leur rôle est complexe et crucial. Sous prétexte que les CRRMP sont saturés, la DSS et la DRP entendent simplifier les choses en confiant la tâche à deux médecins-conseils de l’assurance maladie. Ces derniers ne sont pas spécialisés dans le travail. Ce serait un vrai recul pour les droits des victimes. »
Quelles seraient les conséquences concrètes pour les victimes selon vous ?
« À titre d’exemple, la reconnaissance du lien entre travail et certains cancers, comme ceux de la peau ou de la vessie, les leucémies, les cancers des reins ou de la prostate, reposent sur l’examen du dossier par des spécialistes des conditions de travail. Il est toujours très compliqué d’établir si les expositions professionnelles d’un ou d’une salarié(e) sont à l’origine du cancer dont il ou elle est atteint(e). Et cela n’est ni de la compétence ni de la mission des médecins-conseils. Les spécialistes et professeurs ont déjà du mal à prendre des décisions conformes aux connaissances scientifiques. Confier de manière exclusive la décision aux médecins-conseils entraînerait à coup sûr des refus de prise en charge pour de très nombreuses victimes. C’est proprement scandaleux. Alors que la loi actuelle a permis plus de cent reconnaissances par les différents comités consultés. »
Les dossiers sont-ils si nombreux à devoir passer entre les mains de ces fameux comités ?
« Oui. Le passage par le CRRMP concerne toutes les maladies qui se trouvent dans un tableau de la sécurité sociale mais pour lesquelles toutes les conditions ne sont pas remplies, comme la durée d’exposition ou le délai de prise en charge. Mais aussi toutes les pathologies hors tableau. Pour celles-ci, le comité doit établir qu’il existe un lien direct et essentiel entre la maladie et le travail. C’est le cas des bronchopneumopathies chroniques obstructives ou BPCO, qui concernent des dizaines de milliers de personnes dans les mines, l’industrie, le bâtiment, le textile. Même chose pour les troubles musculo-squelettiques, qui représentent près de 70 % des maladies professionnelles chaque année. Les dossiers sont souvent transmis au CRRMP au titre de l’alinéa 6. Sans parler des risques psycho-sociaux, qui se trouvent hors tableau et représentent 25 % des dossiers. »
Qu’entend faire le collectif face à cette mesure attendue ?
« Très clairement, le collectif unitaire CGT-CFDT-CFTC-FO-CGC avec l’Andeva, la Cavam, la Fnath et l’Adevat-MP constate les reculs très importants que ces propositions entraîneraient pour les victimes du travail. Nous demandons à tous les parlementaires de faire barrage à ce recul social pour celles et ceux qui ont donné leur santé en voulant gagner leur vie. Nous devons rester vigilants. Le travail mutile et tue toujours. »
Vous avez dédié votre vie au combat pour la reconnaissance des maladies professionnelles (MP), d’abord pour les mineurs puis pour d’autres professions. Constatez-vous des évolutions ?
« La situation sociale actuelle est difficile. Aujourd’hui, les dossiers de maladies professionnelles se multiplient. Pour la seule permanence de Merlebach, nous avons en moyenne une déclaration par jour ouvré depuis le 1er janvier. Pour l’ensemble des personnes du régime minier, 5 401 MP ont été reconnues entre 2017 et 2023, soit trois par jour. Le travail est immense. Ici, à Merlebach, on travaille à temps plein. Les outils ont permis d’améliorer les connaissances scientifiques. Mais chaque dossier prend du temps. Les procédures durent souvent plusieurs années car le chemin est semé d’embûches et de blocages divers. Les employeurs n’aiment pas quand un lien est établi entre le travail et la maladie d’un salarié. L’action des organisations syndicales et des associations est primordiale. Notre combat est permanent. »

Le 2 août 1945, l’origine professionnelle de la silicose était officiellement reconnue
La silicose, cette maladie pulmonaire due à l’inhalation de poussière de silice, a été reconnue comme maladie professionnelle en France le 2 août 1945. Elle apparaît au Journal officiel le vendredi 3 août. « C’est le fruit d’un long combat de syndicalistes et de médecins », détaille François Dosso, à l’occasion des 80 ans de cette reconnaissance. La silicose a fait à elle seule plus de 150 000 morts dans les mines françaises, depuis la nationalisation de celles-ci jusqu’à la Libération. Les mineurs de charbon respiraient à longueur de journée de fines particules de silice cristalline, sans protection. Les effets étaient dévastateurs et irréversibles sur les poumons. « Dès les années trente, des médecins comme le docteur Jean Magnien à Bessèges au cœur du bassin minier des Cévennes, se battent pour faire reconnaître la silicose des mineurs en maladie professionnelle et donc pour une prise en charge des victimes et une meilleure prévention. La France sera semble-t-il l’une des dernières grandes nations à officialiser cette reconnaissance, avec… l’Iran. C’était déjà le cas en Afrique du Sud et en Suisse avant 1914 et en Grande-Bretagne et Allemagne avant les années trente. » La silicose, qualifiée de maladie des mineurs, touche également les travailleurs des carrières, des chantiers de travaux publics et de certaines usines.
L'Est Républicain