Féminisation de la médecine : derrière les chiffres, des changements en trompe-l’œil

Chez les généralistes, en libéral, les femmes sont particulièrement visibles. « Si vous êtes venu à notre assemblée générale, vous avez vu une salle où il y avait plein de femmes et il y a trois présidentes de syndicats de libéraux », brosse Agnès Giannotti, présidente de MG France, organe représentatif majoritaire chez les généralistes libéraux.
Même constat pour Christine Louis-Vahdat, responsable éthique et déontologie au Conseil national de l’Ordre des médecins. « Je suis gynéco obstétricienne, on a dans la spécialité une féminisation très nette, qui correspond souvent à une attente des patientes », présente-t-elle.
Mais Agnès Giannotti sait que la situation diffère dans « les hiérarchies hospitalières » et suggère de « regarder si les activités les plus rémunératrices, radiologues, chirurgiens, ne sont pas plus masculines ». Anna Boctor, présidente du syndicat Jeunes médecins, souligne, elle, que « l’accès aux carrières et notamment aux carrières de prestige, notamment universitaires, est encore trop réservé aux hommes ».
Les données du Centre national de gestion (CNG) de la fonction publique hospitalière sont sans appel pour les professeurs des universités praticiens hospitaliers (PU-PH) : « La prépondérance masculine est toujours observée (73,4 % en 2025, contre 74,4 % en 2024 et 80,8 % en 2016) ». Et en 2024, le CNG rapportait que « seules 27 % » de femmes étaient à la tête d’établissements publics.

« Le problème sur les postes de direction hospitaliers, c’est un peu celui des postes de pouvoir : regardez les ministres d’État du gouvernement, ou les dirigeants du CAC 40, il y a encore une disproportion au profit des hommes », analyse pour l’AFP Sophie Bauer, présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML).
Anna Boctor met toutefois la focale sur une « cooptation » en vigueur « dans le milieu médical, un peu élitiste ». « Le mentor, qui est souvent un homme, parmi les professeurs et les présidents de commissions, choisit des gens un peu à son image ». Sophie Bauer acquiesce, évoquant « une majorité, encore, de médecins hommes dans les jurés de concours ».
Et si on parle argent, au sommet de la grille de rémunération des praticiens hospitaliers du public, on trouve seulement 31,4 % de femmes selon le CNG. À partir du 9e échelon (sur 13) de cette grille, les contingents féminins les moins fournis sont en odontologie (6,7 %) et en chirurgie (7,5 %), relève encore cet organe.
La chirurgie, « c’est un bastion masculin », pointe Serge Covaci, chef de clinique à la faculté de médecine de Strasbourg. « En gros, pour devenir un bon chirurgien, il faut adopter des codes masculins, on parle d’hyper-virilisation », expose ce médecin, citant la sociologue Emmanuelle Zolesio dont les travaux reviennent sur « ceux et surtout celles » qui sont évincés durant une « formation à la dure ».
« C’est en train de changer. Chirurgie orthopédique, neurochirurgie, chirurgie cardiaque, cardiothoracique, se féminisent » contrebalance Christine Louis-Vahdat. Plus généralement, Anna Boctor dénonce une discrimination des femmes « au moment de la maternité ». « J’en ai été victime dans ma carrière universitaire. La méritocratie s’arrête brutalement pour les femmes quand on nous explique gentiment que faire des enfants, c’est choisir de ne pas faire carrière ».
SudOuest