Sogol Mirzaei, artiste iranienne : « Ma sœur à Téhéran entend des bombardements en continu »
Propos recueillis par Camille Scali
Publié le , mis à jour le
L’instrumentiste iranienne Sogol Mirzaei jouant du târ lors d’un concert à la chapelle de la Trinité, à Lyon, le 24 mai. WILLIAM SUNDFOR
Témoignage Cette virtuose du târ et du setâr, deux instruments à cordes traditionnels iraniens, installée en France depuis dix-huit ans, s’inquiète pour sa famille qui vit sous les attaques israéliennes en Iran.
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La nuit des premiers bombardements israéliens sur l’Iran, le 13 juin, la musicienne Sogol Mirzaei envoie un message depuis Paris à sa sœur, Maral, qui vit avec son oncle et sa grand-mère, Mansoureh, 94 ans et malade d’Alzheimer, dans l’appartement familial de Téhéran. L’immeuble se trouve à l’ouest de la capitale, proche de l’aéroport Mehrabad et de la célèbre tour Azadi, un quartier ciblé par l’Etat hébreu. Maral répond qu’elle entend « des bombardements en continu », sans savoir d’où proviennent les frappes. Cette nuit, la famille est restée éveillée jusqu’au lever du jour, et n’a pas réussi à fermer l’œil. Au petit matin, ils se sont demandé tous les trois s’ils allaient pouvoir sortir dans la rue.
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« L’Etat n’a pas donné de consignes de sécurité précises, n’a même pas réagi ou demandé aux habitants de partir quand Israël a exigé l’évacuation du troisième arrondissement de Téhéran [le quartier très populaire de Tajrish, au nord de la ville, où se situent le bazar historique, plusieurs bâtiments militaires et des ambassades, NDLR]. Le régime a aussi donné des indications absurdes comme ne pas se réfugier dans le métro… C’est pourtant un endroit “safe” dans le monde entier », ironise Sogol Mirzaei. Face à cette situation ubuesque, les Iraniens doivent se débrouiller tout seul et partagent des conseils sur les réseaux sociaux, comme celui de « s’éloigner des fenêtres et des murs extérieurs ».
La famille de Sogol Mirzaei se réfugie, en cas de bombardements, dans la salle de bains, qui n’a pas de fenêtres, ou dans le couloir qui relie le salon aux chambres. Mais Mansoureh, la grand-mère de l’instrumentiste, « trop faible pour faire les quelques pas nécessaires pour rejoindre les endroits plus protégés », reste alitée. Son fils, qui veut la préserver, lui cache la nature des détonations en prétextant « des pétards, des feux d’artifice ou la Fête du feu [une célébration traditionnelle iranienne]».
Une situation impensableLa famille ne peut pas quitter la capitale : « Ma grand-mère, du fait de sa maladie, ne tiendrait pas quinze minutes dans une voiture », se désole Sogol. L’artiste de 37 ans raconte qu’une de ses amies, Saba, musicienne qui vit à Téhéran, a pu fuir : elle a immédiatement « pris son târ, sa valise » pour rejoindre le nord du pays. L’interprète a été touchée de voir que, sur les réseaux sociaux, ceux qui partent publient, avant leur départ, des photos de leur maison bien rangée, avec les plantes arrosées, et en légende : « On espère retrouver notre chez-nous comme ça en rentrant. »
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Les Iraniens partagent aussi sur internet leur nouveau quotidien : les longues queues pour acheter du pain, les explosions, la poussière. « Une amie que j’admire pour sa force, me faisait rire aux larmes avec ses blagues, s’amuse la trentenaire. Juste après, elle filmait, de sa fenêtre, des colonnes de fumée. » Mais elle n’a plus de nouvelles, une panne d’internet est survenue dans la soirée du 18 juin, et la liaison n’a pas été rétablie. « Rien n’est clair, la situation est chaotique », dit avec lassitude l’interprète iranienne, qui habite à Paris depuis dix-huit ans. Formée à Téhéran et diplômée de la Sorbonne en master de musicologie, elle se produit aujourd’hui dans le monde entier comme soliste ou dans des ensembles musicaux (Orpheus XXI, avec Jordi Savall ; l’Ensemble Chakâm, qu’elle a fondé en 2014…). L’artiste excelle dans l’art du râdif, une musique savante persane.
Sogol Mirzaei a dû rassurer sa sœur Maral qui souffre de palpitations et de stress depuis les premières attaques. « Tout le monde est pessimiste », lâche la musicienne. Sogol et Maral ont vite compris qu’après avoir éliminé des « pions du régime » – hauts dignitaires, militaires et scientifiques iraniens –, Israël n’allait pas s’arrêter là. Cela fait quarante-six ans que les deux pays sont en conflit, mais sans s’être affrontés avec une telle intensité. « Jamais on n’aurait pensé que cette situation puisse arriver, insiste-t-elle, alors même que des négociations étaient en cours. » L’Iran et les Etats-Unis ont relancé en avril des discussions sur le programme nucléaire iranien, et un sixième round était prévu le 15 juin à Mascate, dans le sultanat d’Oman.
Jouer pour l’Iran et pour chasser la peineEn février dernier, déjà, lorsque la musicienne avait annoncé son départ à Téhéran pour faire ajuster ses instruments (son târ et son setâr) par un luthier, ses amis iraniens vivant en France s’étaient inquiétés. Ils lui avaient rappelé le risque de nouvelles attaques israéliennes, après celles d’avril et d’octobre 2024. Mais elle avait pris la menace à la légère. Elle se souvient, avec nostalgie, de son séjour : « La veille de mon retour, j’ai marché trente minutes dans une longue rue de Téhéran. Il y avait beaucoup de pollution et un bruit infernal, j’étais obligée de me boucher les oreilles, mais je me sentais bien. »
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Au début des attaques israéliennes, même à plus de 4 000 kilomètres de Téhéran, Sogol n’était plus capable de faire de la musique : « J’ai d’abord essayé de reprendre, mais je n’ai pas réussi à tenir plus de cinq minutes car j’étais happée par mon téléphone et le besoin de prendre des nouvelles. » Se remettre à jouer, pour un concert de l’Ensemble Chakâm, avec la Palestinienne Christine Zayed et la Française Marie-Suzanne de Loye, au théâtre de l’Alliance française, à Paris, lui a « fait du bien ». C’était le 18 juin. « J’ai pu vider ma colère et ma tristesse », exprime-t-elle d’une voix douce. Elle confesse avoir versé une larme face à l’émotion partagée par le public : « Nous avons interprété le morceau “Olive”, initialement écrit pour la Palestine, qu’on a dédié à l’Iran et à tous les pays en guerre. »
Propos recueillis par Camille Scali
Le Nouvel Observateur