« Hamlet » à Bâle : l’amour est-il juste un conte de fées ?


Ce « Hamlet » bâlois est profondément noir. D'un côté. Et de l'autre, ludique jusqu'à la folie. L'espace vide (Matthias Koch), les costumes (Lena Schön, Helen Stein), les cœurs et les âmes des personnages principaux, confus, sont tous noirs. Car ce monde est complètement détraqué. Ou, comme le dit Hamlet dans la brillante nouvelle traduction de Lucien Haug : « Le temps a perdu ses articulations. Mon devoir désormais : le remettre en ordre. » Mais comment est-ce possible quand les guerres, les meurtres et les homicides, l'hypocrisie, la trahison et la soif de vengeance font rage partout ?
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Lorsque le prince Hamlet (Gala Othero Winter) revient de ses études de théologie au château royal d'Elseneur, son père est mort, vraisemblablement assassiné par son propre frère, Claudius (Fabian Dämmich), son oncle. Il épouse aussitôt sa mère, la reine Gertrude (Thomas Niehaus), assurant ainsi son règne. À première vue, ce drame complexe ressemble à un polar. Pourtant, « Hamlet » est avant tout une lutte acharnée avec les plus grandes questions de l'existence humaine : l'amour, la vérité et la mort.
Danse de l'amour et de la mortEt les meurtres et les morts abondent. Au final, tout le monde s'est entretué, en partie involontairement. Seul Horatio (Antoinette Ullrich), l'ami d'Hamlet, survit et est chargé de transmettre l'histoire à la postérité. Le sens d'une vie dénuée de sens est peut-être que nous la racontions au moins les uns aux autres.
Antú Romero Nunes et Haug condensent l'œuvre de Shakespeare, vieille de plus de 400 ans et sujette à tant d'interprétations, en une danse obsédante et dévorante d'amour et de mort. C'est le chant du cygne radical de ce que nous appelons l'amour. Si ce mot est fréquemment utilisé, il signifie généralement « maladie », « rage » ou « folie amoureuse ». « L'amour se nourrit de l'auto-illusion », raille la reine Gertrude. Et pour Ophélie aussi, l'amour apparaît comme un « conte de fées » : « L'amour n'existe que dans la mort. »
Comment supporter tant de désillusions ? Grâce à un humour détonnant qui, loin de dissiper le dégoût fondamental du monde et de l'amour, le rend accessible comme une réalité existentielle. La traversée en trombe du couple royal, face contre terre sur des skateboards électriques, n'est pas une blague maladroite, mais plutôt une démonstration pertinente de la façon dont, dans la frénésie du jeu, ils perdent progressivement le contrôle de leurs machinations. Le combat d'escrime final entre Hamlet et Laërte (Julian Anatol Schneider), dont toute la cour est victime, devient un divertissement artistique grâce à la déconstruction sophistiquée des mouvements réels et des sons qui les accompagnent.
La production du metteur en scène Antú Romero Nunes n'a pas besoin de références explicites à l'époque pour être d'actualité. La leçon populiste est évidente lorsque l'autocrate Claudius proclame : « C'est de l'art. Vos actions ne doivent paraître justes que si les applaudissements retentissent de partout. » L'idée fondamentale de Nunes, cependant, est de laisser les événements de cette tragédie se dérouler comme s'ils étaient prisonniers d'une boucle temporelle. Une bonne demi-douzaine de fois, le drame revient à la célèbre scène d'ouverture avec les gardes du château : « Qui est là ? »
Quoi de plus déprimant que cette compulsion constante à se répéter dans la roue du hamster ? « Qui attendrait dans les boucles d'attente des salles d'attente de cette vie d'attente ? » gémit Gala Othero Winter dans le rôle d'Hamlet. Sa vaste palette d'expression est époustouflante : tantôt rebelle, tantôt régressant au ventre maternel ; tantôt autocritique, tantôt dominatrice ; tantôt sombrement suicidaire, tantôt charmante et séduisante. En ange vengeur et diable à ressort, oscillant avec aisance dans tous les registres, elle offre un plaisir captivant, stimulant et empathique.
Ophélie (Elmira Bahrami) est d'une toute autre trempe. Son discours et ses gestes semblent venir d'un autre monde. Elle est la seule à porter du blanc et, étonnamment, elle prononce également le monologue d'Hamlet « Être ou ne pas être ». Elle n'est pas simplement la victime passive du comportement arbitraire d'Hamlet, mais décide elle-même : « Je ne veux plus être en couple avec toi. »
Un mélange de stylesLa caractérisation de Nunes repose moins sur l'empathie psychologique que sur un mélange stylistique de procédés théâtraux variés. Il semble presque accro aux ruptures stylistiques pour atténuer le pathos. On peut y être plus ou moins favorable. Hamlet se qualifie lui-même de « framboise », citant l'hymne dialectal « W. Nuss vo Bümpliz » de Patent Ochsner.
Mais Nunes n'a aucunement peur des grandes images théâtrales. Quand Hamlet est embarqué pour l'Angleterre, les corps des acteurs et l'ambiance sonore d'Anna Bauer créent le déferlement des vagues, le vol des mouettes et, enfin, la proue du navire lancée à pleine vitesse. De la pure poésie théâtrale.
L'humour de ce « Hamlet » naît du désespoir. Douleur rime avec plaisanterie. Le grand magicien du théâtre George Tabori a forgé la phrase : « En combinant plaisanterie et douleur, le tragique devient moins mièvre. »
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